vendredi 26 mars 2010

Il n' y a pas que le système de santé qui va mal, l'école aussi...

L'école carnaval

Benjamin Bélair - Professeur de philosophie au collège Montmorency  17 février 2010
Il est temps aujourd’hui de refaire sereinement le débat sur le rôle de l’école dans notre société. Il faut replacer la mission de l’école au cœur des activités de l’école.
Photo : Christian Tiffet - Le Devoir
 
Il est temps aujourd’hui de refaire sereinement le débat sur le rôle de l’école dans notre société. Il faut replacer la mission de l’école au cœur des activités de l’école.
L'école est en crise. On apprenait il y a quelques semaines que les Québécois fréquentaient moins l'université que les Ontariens. Cette inquiétante statistique s'ajoute à une longue série de nouvelles indiquant chaque fois la faillite de nos établissements scolaires. Qu'il suffise d'évoquer le décrochage scolaire, le manque de maitrise du français de la part des étudiants, la faiblesse de la formation des professeurs, la difficulté de financer adéquatement le système d'éducation, l'incapacité de l'école à intégrer l'immigration, l'abandon de la profession par les jeunes professeurs, la perte de repères historiques chez les jeunes. Bref, l'école qui devait être la solution aux maux de notre société en est aujourd'hui un des principaux problèmes.

Ce n'est pas seulement la transmission des savoirs qui est aujourd'hui en danger, mais aussi la capacité de l'école à produire des liens sociaux. En effet, l'école a toujours joué un rôle essentiel dans l'émergence d'un sentiment de réciprocité de l'élève envers les membres de sa communauté. La capacité de cette dernière à transmettre une identité collective est la condition fondamentale de la coopération sociale et de la solidarité.

Malheureusement, on se doit de constater aujourd'hui que le sentiment d'appartenance des étudiants à leur communauté est de plus en plus ténu. Le droit d'étudier n'est contrebalancé par aucun devoir envers la société. L'école est donc de moins en moins capable de jouer son rôle de transmetteur des valeurs communes de la société. Il apparait urgent de s'interroger sur les raisons qui font que l'école accomplit de plus en plus difficilement sa mission.

Le problème n'est pas seulement ce qui est enseigné à l'école, mais l'image que l'école donne d'elle-même. En effet, on s'attendrait à ce que l'école valorise à l'intérieur de ses murs toutes les activités pouvant favoriser chez les étudiants le goût des études et le désir de développer ses connaissances. On serait en droit d'y retrouver une atmosphère sereine et studieuse. L'école devrait partout annoncer les valeurs cardinales à la réussite scolaire et au développement d'une identité collective: le respect, l'effort, le travail, la discipline, la solidarité. Bref, l'école devrait parler de l'école.

Pourtant, un étranger qui pénètrerait dans l'un de nos établissements d'enseignement s'étonnerait que ce soit un lieu d'apprentissage. Il verrait dans le hall d'entrée et dans les espaces communautaires une activité qui ressemble plus à celle d'un centre commercial qu'à celle d'un établissement pédagogique. On y diffuse des films hollywoodiens, on y joue de la musique à tue-tête, on s'amuse au baby-foot, on y flirte, on s'y dispute, on y vend diverses marchandises, on y fait de la sollicitation pour des cartes de crédit, on y organise même des ateliers de tatouages temporaires. L'école n'est plus un lieu d'apprentissage, mais un centre de divertissement. On ne devrait pas s'en étonner, le ministère de l'Éducation est aussi celui du Loisir et du Sport.

Il est vrai que l'école est aussi un lieu de découverte et d'apprentissage du plaisir, mais ce n'est pas parce qu'elle est le lieu des premiers émois qu'elle doit en être aussi la pourvoyeuse. La responsabilité de l'école est de valoriser les valeurs contribuant à la réussite scolaire et à l'émergence d'un sentiment d'appartenance envers la communauté. Pourtant, les activités sociales qui s'y pratiquent sont souvent incompatibles avec cette mission. L'école est aujourd'hui au mieux un outil au service du développement personnel de l'étudiant, au pire un lieu où il vient s'amuser. Cette institution, qui devait être le fondement de la cohésion sociale, est aujourd'hui le lieu d'émergence du plus vulgaire des individualismes. Ainsi, l'école ne rassemble plus, elle divise.

La pensée libérale a rendu possible l'émancipation de l'individu des systèmes sociaux autoritaires. Aujourd'hui, tous les étudiants ont la liberté de formuler leur projet de vie et ont le privilège de se voir donner les outils pour le réaliser. Il ne serait être question de revenir sur cet acquis, mais il y a un point où il faut reconnaitre que la poursuite effrénée et débridée des aspirations individuelles empêche la société de fonctionner. Lorsque la liberté individuelle n'est plus au service du progrès social et rend impossible le minimum de cohésion et de solidarité pour que tout un chacun puisse s'épanouir, il y a lieu de s'interroger sur la qualité de nos institutions.

Il est temps aujourd'hui de refaire sereinement le débat sur le rôle de l'école dans notre société. Il faut replacer la mission de l'école au cœur des activités de l'école. Pour y arriver, il va falloir que nos leaders s'investissent dans la recherche de solutions aux problèmes de l'école et qu'ils ne laissent plus les questions pédagogiques se régler uniquement dans les officines des experts en pédagogie. C'est la moindre des choses que nos représentants politiques se prononcent publiquement sur une institution aussi centrale au destin de notre société. Cet engagement est essentiel si on veut que le jeune étudiant insouciant d'aujourd'hui devienne demain un adulte solidaire de ses concitoyens.