lundi 26 avril 2010

Barlagnes, Merlin, et handicapés diverses ...le Canada bloque les "fardeaux"


Christel De Taddeo - Le Journal du Dimanche
Samedi 20 Février 2010
http://www.lejdd.fr

Merlin, 8 ans, un "fardeau" pour le Canada

Parce que leur fils est porteur de la trisomie 21, Sophie et Cédric ne pourront jamais s’installer au Canada. La famille est interdite de territoire.
Leur enfant représentait un "fardeau excessif", selon les services de l’immigration canadienne, qui les a déboutés de leurs demandes de visas permanents. "Nous faire rejeter à cause de notre fils a été un choc, témoigne aujourd’hui Sophie. Nous avons trouvé cela terriblement injuste." Merlin est porteur de la trisomie 21 et désormais persona non grata au Canada.
Le refus est tombé en juillet 2006. Douloureuse délivrance après cinq années de procédure durant lesquelles ce couple de Franciliens a mis sa vie entre parenthèses. "Nous étions soulagés d’avoir une réponse: nous allions enfin pouvoir passer à autre chose", raconte Cédric, même s’il n’avait jamais imaginé devoir renoncer à leur projet. "Pour nous, notre départ était simplement retardé." Sophie et Cédric avaient obtenu le certificat de sélection québécois en 2001, peu de temps avant la naissance de Merlin, sans se douter un seul instant que leur projet serait ajourné par la visite médicale obligatoire. Ce sont même eux qui ont indiqué au médecin que leur bébé est trisomique. "Lui n’avait rien remarqué", soupire Sophie, ne pouvant s’empêcher de penser que, s’ils n’avaient rien dit, ils seraient sans doute résidents canadiens aujourd’hui.

"Merlin devrait s’intégrer sans difficulté en école maternelle"

Lorsque, six mois plus tard, le service de l’immigration leur demande une première fois des informations sur l’évolution de leur enfant, le couple commence à chercher des renseignements sur Internet. Découvre l’expression "fardeau excessif". Décide de se faire assister par un avocat canadien qui pourra défendre leur dossier sur place. "Cela nous a coûté une petite fortune, concède Cédric: toutes nos économies pour notre nouvelle vie au Canada."
Deux fois par an, durant cinq ans, ils ont donc rendu compte de l’état de santé de leur fils. Et ne comprennent toujours pas la décision des services de l’immigration, rendue en juillet 2006 mais très vraisemblablement prise en fait depuis 2003, comme le laissent entendre des échanges de mails entre médecins canadiens.
Les spécialistes qui suivaient Merlin ont rédigé de multiples courriers attestant de ses progrès encourageants en motricité comme en orthophonie. Merlin, "très bien entouré par sa famille où règne un climat chaleureux", présente "un bon développement psychomoteur" et "devrait être autonome dans la vie quotidienne dans les années à venir", indiquait ainsi la généticienne française qui suivait l’enfant, estimant que, "compte tenu de ce développement harmonieux et régulier, Merlin devrait s’intégrer sans difficulté en école maternelle et participer aux activités offertes aux enfants à l’école et sur la ville". La directrice de la crèche, elle, décrira un enfant qui "déborde de curiosité, d’activité, de joie de vivre, et le prouve à tout instant", faisant "chaque jour de nouvelles acquisitions qui l’enthousiasment".

"Cela restera un regret"

Cédric regarde son fils grandir et ne comprend toujours pas comment les médecins du service de l’immigration canadienne ont calculé leur coût: "Merlin évolue formidablement." Le petit bonhomme, qui a eu 8 ans en novembre, suit un cursus normal dans une classe de CE1, avec un programme adapté à son handicap. "Il a acquis une certaine autonomie et pas mal d’indépendance, sans doute parce qu’il n’évolue pas dans un univers spécialisé", estime son père. Merlin a déjà pris l’avion sans ses parents alors qu’il n’avait que 6 ans. Le mercredi, il reste au centre de loisirs. Il va à la piscine, fait de la gymnastique, joue du piano… Merlin est aussi invité à des anniversaires. "Comme il est très sociable, il réussit toujours à se faire de nouveaux camarades malgré un retard de langage", précise sa mère.
Sophie et Cédric ont eu deux autres enfants – Lelio, 7 ans, et Ilian, 4 ans – et se sont décidés à acheter un appartement au Chesnay (Yvelines), abandonnant définitivement leur envie de partir vivre ailleurs. "Cela restera un regret", concède Cédric, qui va sur ses 40 ans. Ils avaient entamé leurs démarches auprès de l’ambassade en 2000, l’année de leur mariage, programmé en mars, afin de pouvoir se confronter à la rigueur du climat canadien pendant leur lune de miel, avec, au programme, raids en motoneige et traîneau de chiens. Sophie travaille alors dans le tourisme, lui est déjà assistant réalisateur. Ce périple était sans doute le dernier. "Je ne pense pas que nous puissions retourner au Canada, même pour des vacances", indique Sophie. Dans la lettre de refus définitif qui lui a été adressée, il est stipulé que Merlin est "interdit de territoire pour raisons sanitaires", que cette interdiction concerne aussi ses parents, et qu’elle "pourrait aussi s’appliquer à d’autres séjours" que Merlin serait susceptible d’envisager "à titre de visiteur". 

Candidats à l'immigration s'abstenir...

Handicapés, séropositifs, voire "déviants sexuels"... Pour de multiples raisons, financières, sanitaires ou idéologiques, de nombreux pays ferment leurs portes.
Son combat continue: une famille française passera mardi prochain devant la Cour fédérale canadienne pour contester la décision des services de l’immigration qui lui refusent la résidence permanente en raison du handicap de sa fille. A l’issue de la procédure, cette famille devra soit quitter le territoire à expiration des visas temporaires, en 2011, soit passer à nouveau devant un agent de l’immigration.
Rachel, 7 ans, est scolarisée, pratique l’équitation, la natation, le piano… Mais parce qu’elle est atteinte de paralysie cérébrale, les services de l’immigration canadienne considèrent qu’elle pourrait représenter un "fardeau excessif" pour les services de santé et les services sociaux. "Nous nous battons contre une disposition très rétrograde complètement opposée à la tradition humanitaire du Canada", martèle le conseil de la famille, Me Stéphane Minson. Une loi également en contradiction avec les conventions internationales qui placent l’intérêt de l’enfant au-dessus de toute préoccupation. "Retirez les enfants de l’application de cette loi", implore Me Minson.

Le Canada veut protéger son système de santé

Le père de Rachel, David Barlagne, est patron d’une entreprise spécialisée en sites Internet et en logiciels culturels. Comme il n’a de cesse de le répéter, il peut entièrement prendre à sa charge les dépenses liées au handicap de sa fille. Or, dans deux affaires qui font jurisprudence, la Cour fédérale a estimé "incongru" que les ressources permettant aux candidats à l’immigration d’être sélectionnés puissent ne pas être prises en considération lorsqu’il s’agit de décider de l’admission d’enfants handicapés.
Si la famille Barlagne, installée au Québec depuis cinq ans, devait obtenir gain de cause, Me Minson craint que l’agent de l’immigration devant lequel les parents repasseront ne tienne pas davantage compte de la capacité de ses clients à prendre en charge les dépenses liées au handicap de leur fille, comme le veut pourtant, depuis cinq ans, une circulaire administrative. D’autres familles sont ainsi passées à trois reprises devant la Cour fédérale sans voir leur situation régularisée pour autant. Le ministère de l’Immigration canadien ne souhaite visiblement pas ouvrir une brèche dans une loi protectionniste, arguant qu’il s’agit avant tout, pour le Canada, de protéger son système de santé.

"Un handicapé est considéré comme un poids économique"

Bien que peu répandue, cette discrimination à l’immigration n’est pas exceptionnelle. L’Australie écarte de la même manière les candidats risquant de représenter "un coût excessif" pour les services de santé et les services sociaux. L’Argentine en fait autant. Ainsi que l’Equateur, encore plus discriminant puisque ce pays va jusqu’à interdire d’accès à son territoire les personnes présentant des "déviances sexuelles". L’ampleur des restrictions concernant les porteurs du VIH est également préoccupante. Actuellement, 57 pays –parmi lesquels figure notamment la Pologne– ne délivrent pas de visa long séjour aux personnes séropositives; 12 leur interdisent même l’entrée sur leur territoire, notamment la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite, l’Irak. Les Etats-Unis sont sortis de cette liste noire le 4 janvier.
Alors que les lois sur l’immigration tendent à se durcir en Europe, en France en particulier où l’on parle de plus en plus d’immigration choisie, le "modèle" canadien prend une dimension préoccupante. La triste histoire de Rachel pose également la question de la discrimination liée au handicap. "Dans une société comme la nôtre, un handicapé est considéré comme un poids économique", lance Jean-Marc Boivin, de Handicap International, qui fustige la duplicité de la classe politique. "Or ramener quelqu’un à ce qu’il coûte pour la collectivité, c’est une insulte à la dignité humaine, d’une violence inouïe."
Christel De Taddeo - Le Journal du Dimanche
Samedi 20 Février 2010