mercredi 6 octobre 2010

Montréal-Nord: un rapport accablant pour la police

Racisme et harcèlement systématique ont mené à l'émeute de 2008, conclut une étude commandée par le SPVM

Brian Myles   29 septembre 2010 
http://www.ledevoir.com/societe/justice/297121/montreal-nord-un-rapport-accablant-pour-la-police?utm_source=infolettre-2010-09-29&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
«Ils seront toujours harcelés par la police en raison de leur misère et de la couleur de leur peau. [...] Sauf qu'un jour, la marmite explose. Il n'est pas surprenant qu'il y ait eu une émeute à Montréal-Nord. La mort de Fredy Villanueva a été le prétexte.» - Martin Courcy, psychologue mandaté par le Service de police de Montréal (SPVM) pour examiner les façons d'interpeller les jeunes dans ce quartier chaud de la métropole.
Photo : Jacques Nadeau - archives Le Devoir
«Ils seront toujours harcelés par la police en raison de leur misère et de la couleur de leur peau. [...] Sauf qu'un jour, la marmite explose. Il n'est pas surprenant qu'il y ait eu une émeute à Montréal-Nord. La mort de Fredy Villanueva a été le prétexte.» - Martin Courcy, psychologue mandaté par le Service de police de Montréal (SPVM) pour examiner les façons d'interpeller les jeunes dans ce quartier chaud de la métropole.
Le racisme et le harcèlement systématique des policiers de Montréal à l'égard des jeunes des minorités visibles sont à l'origine de tensions sociales qui ont culminé avec une émeute à Montréal-Nord, en 2008, au lendemain de la mort de Fredy Villanueva.

C'est la conclusion principale à laquelle arrive le psychologue Martin Courcy, mandaté par le Service de police de Montréal (SPVM) pour examiner les façons d'interpeller les jeunes dans ce quartier chaud de la métropole.

Après les émeutes à Montréal-Nord, en août 2008, la direction s'est tournée vers M. Courcy pour essayer de savoir comment les jeunes voulaient être abordés par les policiers. Il s'agissait en somme de sonder le point de vue des jeunes, sur les façons de les interpeller, dans le but d'éviter la répétition d'une intervention comme celle qui a coûté la vie au jeune Villanueva.

Le rapport de M. Courcy, dont Le Devoir a obtenu copie, brosse un portrait accablant des interventions du SPVM. Harcèlement, manque de politesse, remarques racistes, provocation et intimidation: les jeunes qui occupent l'espace public à Montréal-Nord vivaient dans un climat malsain, en octobre 2008, au moment où M. Courcy a effectué son intervention, à la demande de l'ancien numéro deux du SPVM, Jean-Guy Gagnon.

«Les jeunes du quartier sont constamment sur le qui-vive, ce qui ne peut qu'exacerber les interactions avec la police. Ils se sentent constamment surveillés, épiés, affirme le rapport. Ils ont souvent peur d'être arrêtés sans raison. Cette crainte est partagée par la majorité. La provocation serait utilisée pour entraîner une arrestation.»

L'approche de l'escouade Éclipse «ne mène nulle part, sinon au bord du gouffre», conclut Martin Courcy. Il termine son travail sur un avertissement. «Je ne sais pas si c'est de la provocation, mais l'attitude des policiers, en grande partie malsaine, ne permet pas de les rapprocher des jeunes. Elle risque, au contraire, de marginaliser encore davantage les jeunes, voire de les pousser dans les gangs de rue.»

Les jeunes vivent «sous une tension constante, quotidienne», enchaîne l'auteur. Ils sont traversés par la peur, étant donné que les policiers mettent souvent la main à leur arme de service lorsqu'ils entrent en contact avec eux. La peur et un sentiment de fatalité. «Ils seront toujours harcelés par la police en raison de leur misère et de la couleur de leur peau. [...] Sauf qu'un jour, la marmite explose. Il n'est pas surprenant qu'il y ait eu une émeute à Montréal-Nord. La mort de Fredy Villanueva a été le prétexte.»

Réponses stupéfiantes

M. Courcy est un spécialiste de la sécurité, de la gestion des conflits et des crises. Il collabore avec des services de police et le ministère de la Sécurité publique depuis 1984. Lorsque M. Gagnon lui a demandé de réaliser une étude de perception à Montréal-Nord, il n'a pas caché ses intentions aux jeunes. Il leur a tout de suite dit qu'il travaillait pour le compte de la police.

Pendant un peu plus de deux semaines, entre les 7 et 26 octobre 2008, M. Courcy a suivi une soixantaine de jeunes, en leur posant des questions toutes simples. Comment voudriez-vous être interpellés par les policiers? Comment faire pour qu'une intervention se déroule dans le calme? Pour éviter que la situation ne dégénère?

Les réponses donnent froid dans le dos. Elles forcent l'auteur à conclure que le SPVM n'était pas aux prises avec un problème de profilage racial, mais avec du racisme «pur et simple». Les jeunes prêtent aux policiers les paroles suivantes:

— À une jeune Maghrébine de 17 ans: «Pourquoi tu ne te fais pas exploser?»

— «Sale immigrant, retourne dans ton pays sale nègre.»

— «Regarde le tas de déchets, c'est à ça que tu ressembles.»

L'auteur indique dans son rapport que «plusieurs propos semblables» lui ont été rapportés. «Les jeunes disent que les policiers leur tiennent des propos qu'ils n'oseraient tenir dans aucun autre quartier de la ville de Montréal», écrit-il.

Âpres discussions

Le rapport de Martin Courcy fait l'objet d'âpres discussions à l'enquête du coroner sur la mort du jeune Villanueva. Pour le moment, seuls les avocats des parties intéressées ont pu en obtenir un exemplaire, sous le sceau de la plus stricte confidentialité. Le Devoir a pu obtenir un exemplaire du rapport par d'autres moyens.

Les avocats de la famille Villanueva et des jeunes blessés lors de l'intervention du 9 août 2008 souhaitent que le rapport soit déposé en preuve, tandis que la Ville s'y oppose pour des raisons de pertinence.

Le principal intéressé, Martin Courcy, n'a pas voulu discuter du contenu du document, étant donné qu'il est lié par un engagement de confidentialité. «J'aurais souhaité que le rapport ne soit pas confidentiel», a cependant indiqué M. Courcy dans un entretien.

En entrevue, Martin Courcy affirme catégoriquement qu'il n'avait aucune raison de douter de la véracité et de la fiabilité des propos qui lui ont été rapportés. Il se dit déçu du sort réservé à son rapport. «Pour les jeunes, c'était clair que j'avais un mandat de la police et qu'il y aurait des suites. Je sens que j'avais une responsabilité face à ces jeunes-là. Ils m'ont fait confiance, totalement», dit-il.

À son avis, son rapport et son témoignage pourraient être grandement utiles aux travaux du coroner.