dimanche 22 mai 2011

Au Québec les immigrants on s'en fout, mais donnez nous l'argent !

Interculturalisme 2011 - Faible stratégie d'intégration des immigrants au Québec

Stephan Reichhold - Directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes  3 mai 2011
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Photo : Illustration: Christian Tiffet

En 1990, sur la base d'un très large consensus, l'ensemble des partis politiques adoptaient l'Énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration: Au Québec - Pour bâtir ensemble, posant ainsi les principes fondateurs des politiques publiques du Québec relatives aux stratégies d'intégration des nouveaux arrivants.
Cette approche distincte, alors privilégiée par le gouvernement québécois face à une politique canadienne du multiculturalisme envahissante et inadaptée aux aspirations de la société québécoise, a été définie par un vocable qui fait actuellement l'objet de nombreux débats: l'interculturalisme. Le principe en est simple: le nouvel immigrant est invité à travers un contrat moral à prendre part et à s'intégrer dans un cadre sociétal prédéfini, caractérisé par une langue commune, des valeurs établies et un bagage historique propre.

Les éléments essentiels de ce que l'on qualifie d'interculturalisme sont la bidirectionnalité (qui engage réciproquement autant la personne immigrante que la société d'accueil) et l'interaction (qui assure un espace de dialogue, d'échange et de rencontre entre le nouvel arrivant et la société d'accueil). Tant que ces deux principes fondamentaux de l'interculturalisme ne seront pas déployés à grande échelle au Québec, nous peinerons dans nos efforts en vue de permettre aux nouveaux immigrants de s'intégrer et de participer pleinement à la société québécoise.

Effort marginal


Alors que les principes de base mis en avant en 1990 visant l'inclusion des immigrants à toutes les sphères de la société sont bien présents dans les discours de nos dirigeants politiques (tous partis confondus) ainsi que dans les plans d'action et les directives ministériels, force est de constater qu'ils n'ont été que peu appliqués ces vingt dernières années. On pourrait même parler de recul si l'on se fie aux récentes orientations gouvernementales. Depuis trois ou quatre ans, la priorité dans ce dossier se limite principalement à informer et à «éduquer» les nouveaux immigrants sur des valeurs communes spécifiques au Québec; l'intention étant d'atténuer les tensions sociales croissantes que connaît le Québec depuis quelques années face à l'immigration.

Ainsi, le gouvernement a multiplié avec vigueur la production de guides, de dépliants, d'information sur le Web à l'attention des nouveaux arrivants. On a augmenté les sessions d'information de tout ordre. Le Québec a même imposé la signature d'une déclaration d'adhésion aux six valeurs fondamentales québécoises à chaque nouvel immigrant. On a également investi massivement dans la francisation des immigrants.

Il n'est certes pas inutile, ni mauvais d'informer les immigrants sur ce qui les attend au Québec ou de les franciser, mais où est la bidirectionnalité, l'interaction? Comment s'articulent la responsabilité et les actions à mener par la société accueillante pour inclure ces nouveaux arrivants? Quelles ont été les initiatives ou les mesures mises en avant auprès de la société d'accueil afin de préparer le Québec aux changements sociétaux et culturels que nous vivons actuellement? L'effort de ce côté a été marginal, pour ne pas dire absent.

Intégration institutionnelle

Penser que fournir simplement de l'information brute et abstraite est suffisant pour intégrer les personnes immigrantes témoigne de l'incapacité du Québec à incarner l'interculturalisme dans ses pratiques d'accueil, notamment institutionnelles. L'intégration dans un modèle interculturel est un processus qui prend du temps. Les nombreux organismes communautaires voués à l'accueil et l'intégration des nouveaux arrivants peuvent témoigner du succès des pratiques interculturelles lorsqu'elles sont ancrées dans l'intervention et adaptées aux besoins des nouveaux arrivants. La rareté des ressources dont ils disposent en limite cependant l'impact.

Le Québec privilégie l'intervention institutionnelle comme modèle d'intégration à l'inverse de ce que l'on observe dans le reste du Canada. Ainsi, alors qu'au Québec à peine 8 % des budgets destinés à l'intégration vont vers le communautaire et les initiatives de terrain, dans le reste du Canada, 70 % des budgets vont dans le réseau communautaire. Rappelons que grâce à l'Accord Canada-Québec sur l'immigration (1991), le Québec dispose d'importants moyens financiers récurrents et généreusement indexés qui lui sont garantis à très long terme (258 millions de dollars en 2011). À cet apport financier s'ajoutent 45 millions de dollars que le Québec encaisse chaque année de la poche des immigrants en tarification.

Il est d'autant plus discutable que le Québec ait de si faibles performances en matière d'intégration malgré toutes ces ressources et expertises. Les ministères de l'Immigration, de l'Emploi et de la Solidarité sociale et de l'Éducation, les trois principaux acteurs institutionnels responsables des mesures d'intégration et de francisation au Québec engloutissent environ 90 % des sommes destinées spécifiquement à l'intégration des nouveaux immigrants, soit environ 280 millions de dollars par année, avec les résultats peu reluisants que l'on connaît, notamment en matière de chômage et de décrochage scolaire des nouveaux arrivants.

Interculturalisme virtuel

Après 20 ans d'interculturalisme virtuel, les institutions québécoises n'ont pas su s'adapter aux nouvelles réalités d'un Québec diversifié et continuent à voir l'immigrant comme étant le problème plutôt que de réaliser les limites des approches et des pratiques qui ont été conçues pour une population homogène. Les gestionnaires de ces institutions sont peu équipés pour faire face à l'approche interculturelle, alors qu'ils ont un rôle essentiel à jouer dans l'adaptation des pratiques, les cadres de travail et les règles établies devant favoriser et permettre aux intervenants d'avoir une pratique adaptée.

Sur le terrain, on peut observer une grande ouverture à l'adaptation dans les services publics, mais les professionnels (agents des CLE, travailleurs sociaux, professeurs, infirmières, éducateurs) ne se sentent ni soutenus ni outillés par leurs institutions. Alors que les pratiques communautaires se sont adaptées et ont intégré l'approche interculturelle, celles des institutions ont peu évolué. Le vide politique à cet égard, tant au niveau de l'emploi que de l'éducation ou de la santé, fait en sorte que les institutions peinent à faire face au défi de la diversité dans lequel la société québécoise est engagée.

Le temps est venu de mener une véritable évaluation des pratiques d'intégration au Québec ainsi qu'une réflexion en profondeur, car nous disposons de tous les ingrédients pour faire mieux: les ressources financières, le pouvoir politique exclusif (face au Canada), l'expertise, l'infrastructure et l'espace.

Ce texte a été rédigé à l'invitation d'Interculturalisme 2011, en préalable au Symposium international qui aura lieu du 25 au 27 mai prochains, à Montréal (www.symposium-interculturalisme.com).

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Stephan Reichhold - Directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes