Une immigration massive injustifiable
Tribune libre de Vigile
http://www.vigile.net/Le-Quebec-recevra-50-000

Le
gouvernement de Jean Charest avait des raisons particulières d’accepter
55 000 nouveaux immigrants l’an dernier, mais la meilleure à ses yeux
c’est que la plupart de ces futurs électeurs allaient éventuellement
rallier l’électorat anglophone du parti libéral. C’est d’ailleurs ce
qu’ont fait avant eux la majorité des immigrants admis au cours du long
règne des libéraux à Ottawa et à Québec. Cela profite aux libéraux, mais
c’est loin d’être à l’avantage du français au Québec.
Cette clientèle quasi-captive a transféré son sentiment de
reconnaissance du Parti libéral fédéral au Parti libéral du Québec. Ce
dernier a ainsi engrangé une forte proportion du vote des nouveaux
citoyens d’origine asiatique, africaine ou pakistanaise sans effort. Il
lui suffisait d’avoir un Tony Tomassi à Saint-Léonard, une Fatima
Houda-Pépin dans La Pinière et quelques autres candidats d’origines
diverses, pour récolter les fruits de la politique d’immigration
« portes ouvertes » des leurs grands frères fédéraux.
L’augmentation du nombre d’immigrants admis au Québec n’a donc cessé
de croître depuis les années 80 jusqu’à nos jours. Le mouvement a
continué en dépit de la fluctuation des besoins en main-d’oeuvre, de
l’évolution de nos échanges commerciaux et de la situation politique au
pays comme à l’étranger. De 14 000 immigrants reçus en 1984, le Québec
est passé à 26 000 en 1998 ; 49 000 en 2009 et 55 000 en 2012. Au total,
plus d’un million d’immigrants se sont installés au Québec entre 1971
et 2006, et près de 200 000 de plus entre 2007 et 2010. C’est
considérable, mais pour certains groupes de pression et plusieurs hommes
d’affaires ce n’est pas encore assez. Qui a raison et pourquoi le
nouveau gouvernement du Québec a-t-il décidé d’en recevoir encore 50 000
cette année ? Ce n’est pas très clair, ni très rationnel !
Souvent, les réponses dépendent du point de vue de ceux qui posent la
question. Les chambres de commerce et certains dirigeants de grandes
entreprises soutiennent que nous avons besoin de plus d’immigrants pour
compenser la vieillissement de la population, le faible taux de
natalité, et du même coup, combler les besoins en main-d’oeuvre. Mais le
taux de chômage ne fléchit guère, si bien que la proportion
d’immigrants qui n’arrive pas à trouver un emploi est deux fois plus
élevée que celle des travailleurs nés au pays. Deux grandes banques, la
Toronto Dominion et la Banque de Montréal, ont publié l’automne dernier
des analyses du marché démontrant qu’il n’y avait pas de pénurie de
main-d’oeuvre. Le ministre fédéral de l’Immigration Jason Kenney a
publiquement reconnu que les demandes des employeurs étaient une
« invention des hommes d’affaires » visant à freiner l’augmentation des
salaires. S’il y avait pénurie de main-d’oeuvre nous aurions constaté
une plus forte hausse des salaires, mais ils suivent à peine le rythme
de l’inflation, a-t-il soutenu.
Selon le Centre pour une réforme des politiques d’immigration, un
groupe de recherche indépendant, les gouvernements devraient mettre
l’accent sur la formation et le retour au boulot des jeunes travailleurs
qui ont perdu leurs emplois dans le secteur manufacturier en raison de
la mondialisation. Les gouvernements doivent consacrer d’importantes
ressources aux programmes de formation plutôt que d’aller chercher de la
main-d’oeuvre étrangère incapable, elle aussi, de s’intégrer au marché
du travail, ajoute le Centre. « L’immigration devrait répondre aux
demandes réelles de main-d’oeuvre (quand il y en a) et non pas servir de
réserve de travailleurs bon marché en concurrence avec les chômeurs en
quête d’emplois, soutient le Centre dans une analyse des politiques
gouvernementales publiée en janvier.
Devant de telles divergences d’opinion, comment en est-on arrivé à
fixer la cible de l’immigration à 50 000 l’an dernier au Québec ?
Apparemment, c’est après avoir consulté des « experts », c’est-à-dire
quelques démographes et quelques économistes munis de boules de cristal.
Pour l’année en cours, la ministre de l’Immigration et des communautés
culturelles, Diane de Courcy, a simplement maintenu la politique établie
par les libéraux tout en annonçant une possible réduction de 5 000
immigrants. Ce nombre est toutefois sujet à caution parce que les
chiffres véritables ne seront connus qu’à la fin de l’année.
Selon des fonctionnaires, la ministre s’est contentée de manifester
sa volonté de réduire le volume d’immigration mais elle ne pouvait guère
faire davantage. Des milliers de dossiers de candidatures ont déjà été
acceptés, une grande quantité sont sur le point de l’être et un nombre
important de familles ont déjà engagé des sommes importantes pour venir
au Québec. La ministre ne pouvait pas, en toute bonne foi, changer
radicalement de cap au milieu de l’année. Elle a donc, par le fait même,
fait sienne l’une des raisons invoquées par ses prédécesseurs libéraux
pour justifier les hausses successives du seuil d’immigration, soit le
maintien du poids du Québec au sein du Canada.
Il reste à voir si Mme de Courcy demandera des études sérieuses et
osera entreprendre une véritable consultation avant d’établir le seuil
d’immigration l’an prochain. Elle doit, à tout le moins, dépoussieré le
rapport du Vérificateur général du Québec pour l’année 2010-2011.
Celui-ci blâmait sévèrement l’incurie de son ministère et critiquait ses
prévisions fantaisistes. Selon ce rapport, le ministère est d’une
incompétence crasse. Seulement 9% des travailleurs sélectionnés, entre
2006 et 2008, avaient un profil qui correspondait aux exigences « des
domaines de formation privilégiés » alors que 65% n’avaient obtenu aucun
point au critère« domaine de formation ». C’est donc dire que le
processus de sélection avait été bâclé. En termes clairs, les
fonctionnaires acceptent des candidats condamnés au chômage ou à vivoter
dans des petits boulots dont ils parviennent difficilement à sortir.
En ce qui a trait au nombre d’immigrants, le Québec en reçoit
proportionnellement moins que le Canada anglais, mais davantage que les
États-Unis et plusieurs autres pays industrialisés. Les études
démographiques disent qu’il est mathématiquement impossible que
l’augmentation du nombre d’immigrants influence substantiellement le
processus de vieillissement de la population. Pas plus d’ailleurs
qu’elle ne compense la faiblesse du taux de natalité. Sur le plan
économique, différentes recherches menées au pays et au Royaume-Uni
concluaient que « quelle que soit la méthode adoptée, quel que soit le
pays, quelle que soit la période considérée, les résultats convergent
tous vers la même conclusion : l’immigration n’exerce qu’un effet
marginal …sur l’évolution du revenu par habitant, du salaire et du taux
de chômage ».
Si l’effet de l’immigration est marginal sur le plan économique il ne
l’est certainement pas sur le plan linguistique. L’argument bancal
selon lequel nous devons admettre de plus en plus d’immigrants pour
maintenir le poids du Québec et assurer l’avenir de la seule société de
langue française en Amérique est démenti par les faits. Loin de protéger
la place du français, l’immigration massive menace sa survie à long
terme. Alors que 89% de la population du Québec parle français à la
maison, plus de la moitié des immigrants adoptent l’anglais. Leurs
enfants, arrivés après l’adoption de la Loi 101, vont obligatoirement à
l’école en français, mais ils se tournent vers l’anglais aussitôt
arrivés au Cégep. Le problème demeure donc entier et ne peut être
résolu, dans le cadre politique fédéral actuel, sans une profonde remise
en question de la politique d’immigration du Québec.