La ministre Kathleen Weil a récemment publié un document de consultation présentant les orientations envisagées en matière d'immigration pour les prochaines années. On doit se réjouir du moment choisi pour cet exercice, à l'abri du climat électoral, peu propice à un débat serein sur le sujet.
Ce document de consultation porte sur le nombre d'immigrants permanents que le Québec entend accueillir et sur la proportion relative des composantes (regroupement familial, réfugiés, immigrants économiques). Il décrit, en termes souvent très technocratiques, les modalités administratives qui encadrent la gestion du mouvement migratoire. Pour cette raison, il y a peu de chance que l'opinion publique s'émeuve des enjeux mis en avant. Les méthodes utilisées pour accepter, refuser ou encore retarder le traitement des demandes de résidence permanente ne risquent pas beaucoup d'être abordées. Il importerait pourtant qu'on s'y attarde davantage.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, le Canada n'admettait pratiquement que des immigrants d'origine européenne, de préférence des Britanniques. Cette pratique s'inscrivait dans une idéologie générale de «hiérarchisation des races et des ethnies» contre laquelle les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale et le processus de décolonisation n'avaient pas tout à fait immunisé l'Occident.
Au cours des années 1960, cette méthode a été progressivement remplacée par une approche universelle et égalitaire, sans égard à la race, à la couleur, à la nationalité, à la religion, à la langue maternelle et au sexe. Quand le Québec a obtenu des pouvoirs lui permettant de choisir lui-même une proportion importante de ses immigrants, il a adhéré d'emblée à ce principe de non-discrimination, lequel s'harmonisait d'ailleurs tout à fait avec sa propre Charte des droits et libertés.
«Bassin géographique»
Mais en 2004, des dispositions surprenantes ont été introduites dans la Loi sur l'immigration. Prétextant que la sélection avait notamment pour objet de favoriser l'enrichissement du patrimoine socioculturel du Québec, il fut décidé que le nombre d'immigrants à admettre pourrait désormais être réparti par «bassin géographique». Une clause autorisant la suspension de l'étude des demandes en provenance d'un bassin ou d'un autre fut même introduite, autrement dit, une clause mettant en oeuvre des quotas fondés sur l'origine géographique.
Dans le document rendu public ces derniers jours par la ministre Weil, on va un peu plus loin: essentiellement, on vise à limiter à 30 % la proportion des immigrants provenant de l'un ou l'autre bassin, notamment de l'Afrique. Quel que soit l'angle considéré, il s'agit là d'un retour à des pratiques en vigueur avant l'adoption des Chartes et inconciliables avec le principe d'universalité de la politique d'immigration et d'égalité des personnes devant la Loi.
Conforter la discrimination
Qu'en est-il des justificatifs invoqués à l'appui de ces mesures dignes d'une époque qu'on croyait révolue?
L'argument de l'enrichissement du patrimoine socioculturel est pour le moins étonnant: pris au pied de la lettre, il devrait amener les autorités à concentrer leurs efforts de sélection partout, sauf en Europe, puisque la population québécoise, tant celle de vieille souche que celle issue de l'immigration, est massivement d'origine européenne.
On argue aussi des difficultés d'intégration rencontrées par les immigrants de certaines provenances. À cet égard, on doit considérer deux choses.
D'une part, différentes études ont mis en évidence la discrimination dont sont parfois l'objet les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Est-ce le rôle de l'État de conforter cette discrimination en l'étendant à la pratique même de la sélection? Ne serait-il pas plus productif de mettre en oeuvre de meilleurs moyens pour la contrer? Poser la question, c'est y répondre.
D'autre part, avant d'accuser tous les employeurs québécois de racisme, il convient de prendre en considération un autre élément de la problématique. Il est plausible, pour ne pas dire probable, que les connaissances linguistiques, la qualité de l'éducation reçue ou l'expérience acquise dans certains pays ne soient pas toujours du niveau requis sur le marché québécois du travail, notamment parce que les vérifications faites lors de l'examen des candidatures ne sont pas suffisamment poussées (comme le laisse entendre, d'ailleurs, le document de consultation). Cela peut expliquer en partie le manque d'adéquation entre les compétences de certains immigrants et les besoins des employeurs québécois.
Sélection rigoureuse
Ce qu'il faudrait alors, ce n'est pas tant l'instauration de quotas aveugles, fondés sur l'origine géographique (synonyme en réalité de race, de couleur ou d'ethnie) qu'une sélection plus soignée et plus rigoureuse, notamment sur le plan de l'évaluation des connaissances linguistiques, de la formation et des compétences professionnelles.
Naturellement, la mise en oeuvre d'une telle approche requerrait de consacrer à la sélection davantage de ressources même si, dans un premier temps, une certaine diminution du volume des admissions peut en résulter. Et il faudrait surtout, de la part des autorités, une dose importante d'imagination et de courage.
Tenter de contenir la vague de l'immigration nord-africaine par des moyens dignes d'une autre époque n'est pas dans l'intérêt supérieur du Québec. Pour la première fois de notre histoire, le Québec est la destination privilégiée d'une immigration massivement francophone qui ne demande qu'à se rallier à la majorité. L'adoption de mesures discriminatoires et vexantes à l'endroit de ces immigrants risque de les amener, comme d'autres qui les ont précédés, à se détourner de la majorité francophone et à aller contribuer, eux aussi, à la marginalisation du seul peuple francophone d'Amérique du Nord.
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Ont signé ce texte: Pierre Anctil, Françoise Armand, Mireille Baillargeon, Alain Bélanger, André Boisclair, Gérard Bouchard, François Crépeau, Micheline Dumont, Madeleine Gagné, Élisabeth Garant, Micheline Labelle, Annick Lenoir, Guillaume Marois, Marie McAndrew, Victor Piché, Gérard Pinsonneault, Maryse Potvin, Stephan Reichhold, Jean Renaud, Gisèle Ste-Marie, Michèle Vatz Laaroussi, Bilkis Vissandjee, Daniel Weinstock.